jeudi 29 janvier 2009

ALFONSINA STORNI

Alfonsina Storni, poètesse du postmodernisme argentin, naquit en Suisse le 29 mai 1892 et mit tragiquement fin à ses jours, le 25 octobre 1938, à Mar del Plata, Argentine (voir poème “Je vais dormir”).

PRESSENTIMENT

J’ai le pressentiment qu’il me reste peu de temps.
Cette tête qui est la mienne est comme une lampe-tempête
Qui brille et qui s’éteint.
Mais sans une plainte, sans la moindre terreur,
Pour disparaître, je veux qu’un soir très clair
Se couche le soleil si limpide
Et que d’un haut jasmin, une vipère blanche
Surgisse et doucement me morde droit au cœur.


EFFACÉE

Le jour où je mourrai, la nouvelle
Suivra les pratiques d’usage.
Et aussitôt, de bureau en bureau,
Sur les pages des registres, on cherchera mon nom.

Et là-bas, loin, dans un petit village
Qui dort à poings fermés au soleil des montagnes,
Sur mon nom, dans un très vieux registre,
Une main anonyme tracera une croix.


CELLE QUI COMPREND

Avec sa tête brune qu’elle incline lourdement,
Elle est belle, cette femme entre deux âges,
Agenouillée, et un Christ à l’agonie
Du haut de sa croix dure la considère avec bonté.

Dans ses yeux, il met une immense tristesse,
Dans son sein, il met un fils à naître,
Au pied du Christ ensanglanté et blanc, elle prie :
- Seigneur, faites que mon enfant ne soit pas une fille !


JE VAIS DORMIR

Dents de fleurs, coiffe de rosée,
mains d’herbe, toi ma douce nourrice,
prépare les draps de terre
et l’édredon sarclé de mousse.

Je vais dormir, ma nourrice, berce-moi.
Pose une lampe à mon chevet;
une constellation, celle qui te plaît;
elles sont toutes belles : baisse-la un peu.

Laisse-moi seule : écoute se rompre les bourgeons...
un pied celeste te berce de tout là-haut
et un oiseau esquisse quelques voltes

pour que tu puisses oublier... Merci. Ah, une dernière chose :
s’il venait à me téléphoner
dis-lui qu’il n’insiste pas et que je suis sortie...

(Il s’agit là du “testament poétique” d’Alfonsina Storni. Ce poème, rédigé 3 jours avant son suicide, fut publié dans le quotidien “La Nacion” comme avis de décès. Le 25 octobre 1938, à Mar del Plata - une station balnéaire au sud de Buenos Aires -, Alfonsina marcha loin dans la mer et disparut. Quelques jours plus tard, lorsque les vagues ramenèrent son corps sur le rivage, quelques témoins rapportèrent que la jeune femme souriait...)

Traductions : Egon Kragel
Photo : Egon Kragel

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